MEMOIRES DU FOND DU PUITS - CHAPITRE 2 PREMIERE ASCENSION
Le piège
Il faut du temps pour se lever et se dire le
« bouge-toi ! » mental. Et lorsque cela est décidé, se lever
pour entamer la juste remontée. Mais quand tu n’es pas prêt, le destin, ou quoi
que ce soit, se charge de te faire tomber.
Un anniversaire, et le décès de son dernier
parent le même jour, et cela suffit pour glisser au plus profond du puit.
Le plus difficile pour moi a été de préparer
son départ alors que j’étais littéralement détruit. Mes proches m’ont
accompagné dans cette épreuve, m’ont fortement aidé. Cela ne se pouvait
autrement. J’ai pu m’évader physiquement de mon puit, et cet investissement m’a
permis de ne pas penser. Mais ce n’est pas une évasion, ce n'est pas une
libération, et le puit peut devenir votre ami.
A chaque douleur, à chaque souvenir
dévastateur, le puit m’offre son abri.
Et lorsque tout est terminé, le puit devient le
piège.
Il est minuit dans ma tête, et midi dans mon
comportement. Quand les affaires matérielles me rappellent à leurs bons
souvenirs, un vent de panique souffle dans le puit et j’y retourne en espérant
que tout s’arrête. Si ma sœur me répète que « plaie d’argent n’est
pas mortelle », adage oh combien véritable, la cage économique et sociale
qui nous possède n’en entend pas me faire oublier que mon état n’est pas
économiquement « rentable ».
Les pièges pour celui qui est dans le puit est
d’en sortir mentalement, trop vite.
Le nœud se resserre dans mes organes générant
un sentiment de tristesse et d’angoisse. Je retourne dans mon puit, lui seul
peut me protéger.
Je comprends le besoin de chimie,
antidépresseurs que me donne mon médecin et tranquillisants afin de mieux
dormir.
Mais j’avoue ne pas en prendre pour le moment,
cela n’est pas une échelle pour remonter, mais un moyen de remettre l’esprit au
calme. Je ne veux pas que mon esprit soit anesthésié, je veux que lui aussi
ressente les émotions destructrices qui s’expriment lorsque je vais mal. Il
faut que mon esprit demeure.
La révélation
« Les
drames dévastent votre vie comme un ouragan. Ils déracinent tout. Ils créent le
chaos. Vous devez attendre, attendre que la poussière se dépose pour faire un
choix. Vous pouvez choisir de vivre au milieu des décombres et faire comme si
tout était intact. Ou vous pouvez vous extirpez des ruines pour tout
reconstruire. Après l'ouragan, l'important c'est de continuer à vivre... »
(Véronica Mars – série)
Je lève les yeux vers le sommet du puit. Je
vois les étoiles, le ciel puis les oiseaux, la vie. Je ressens la présence de
ma mère, qui vient de partir. Qu’il est dur de vivre une seconde souffrance
d’un départ d’un proche alors qu’on est au fond d’un puit. Mais je le perçois
comme un message, comme si elle voulait faire un dernier geste de mère inquiète
de l’état de son fils, elle décède le jour de mon anniversaire. Elle me
rappelle aussi à mes engagements, et je prépare avec quelques proches un
dernier hommage. Oh combien fut difficile cette semaine de préparation, et oh
combien la douleur m’investit le jour de la cérémonie.
Mais, encore une fois, elle m’a bousculé, comme
elle savait le faire lorsque j’étais enfant ou pendant ma dure crise
d’adolescence. Elle m’a une dernière fois de son vivant provoqué pour que je
réagisse.
Elle a réussi. Je sors de mon puit, lentement,
car encore fragile. La souffrance émotionnelle a fait place à une tristesse
lancinante qui s’écoule à chaque instant sur mon âme à vif. Et cette cascade
recouvre celui que j’étais d’une protection d’amour de celle qui m’a donné la
vie. Et je vois l’issue. Je sais maintenant que je suis en train de renaitre.
Elle m’a donné la vie, puis elle part en me redonnant une nouvelle vie. C’est
le plus beau don de soi que maman m’a fait, en conscience ou non, je ne sais,
guidé par ses ancêtres, par des anges, que sais-je…
Mais je commence à grimper le long de la paroi
du puit.
Je n’ai pas de choix à faire, je n’ai pas de
décisions à prendre, elles le sont déjà. Le clin d’œil est tellement limpide,
rien n’étant le fruit du hasard, que je ne me pose plus de questions.
Le « Je » deviens « nous »,
car nous sommes chacun de nous un ensemble. Nous portons en notre cœur nos
ancêtres, nos amis, tous ceux qui étaient, mais aussi ceux qui seront.
Alors, vierge de toute ancienne vérité, le
« nous » que je suis se lève. Il regarde la voute céleste, et voit
des ombres, des formes. Il ressent à nouveau la curiosité. Et comme un être à
terme d’une nouvelle construction, ressentant à nouveau le désir de sortir, et
poussé par le puit qui le presse de s’exécuter, il démarre l’ascension.
Celle-ci sera lente, car chaque aspérité
représente une bribe d’histoire de ce qu’il fut lors de sa chute. Il lui faut
prendre conscience de cela afin de ne pas remonter sans avoir refermer
irrémédiablement les plaies émotionnelles.
L’ascension
« …Ce
processus de croissance psychique nait d’un besoin profond de sens ou de
changement de sens, à la suite de souffrances… ». «…Il s’agit de
mourir à un certain état pour renaitre à un nouvel état, plus évolué, plus
conscient… ». (Jung – un voyage vers soi- Frédéric LENOIR)
La lutte est intense, d’un côté la perception
d’aller mieux et l’envie de reprendre là où j’en étais dans ma vie d’avant, et
de l’autre la prise de conscience que je ne pourrais plus reprendre le fil de
ma vie comme avant.
On comprend bien à ce moment combien on est
encore fragile. En permaculture, on dit qu’il faut observer et prendre le temps
avant de d’agir. L’état est le même pour celle ou celui qui est dans le puit.
Mon médecin me prolonge d’un mois, il considère
que ce n’est pas encore le moment. Je crois qu’il a raison. Je sens bien que je
n’ai toujours pas véritablement lâché. Culpabilité d’absence, inquiétudes du
jugement, doutes sur les capacités financières du ménage liées à la maladie,
doute de soi, angoisses sur ce monde, incertitude sur le changement.
« Il est plus facile à un chameau de
passer par le trou d’une aiguille… » (Ev Saint Mathieu).
Pour celui qui
a connu le puit, il lui sera bien plus long encore de remonter que ce
qui l’a conduit jusqu’à la chute. Mais à chaque seconde de remontée, le doute
s’estompera encore un peu plus, permettant la compréhension de sa souffrance et
sa guérison par sa renaissance.
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