MEMOIRES DU FOND DU PUITS - CHAPITRE 2 PREMIERE ASCENSION

 

Le piège

« J'ai repensé au papillon que j'avais attrapé, en sécurité et pourtant piégé dans l'obscurité de ma main » (lettre à mon ravisseur – Lucy Christopher).

 

Il faut du temps pour se lever et se dire le « bouge-toi ! » mental. Et lorsque cela est décidé, se lever pour entamer la juste remontée. Mais quand tu n’es pas prêt, le destin, ou quoi que ce soit, se charge de te faire tomber.

Un anniversaire, et le décès de son dernier parent le même jour, et cela suffit pour glisser au plus profond du puit.

Le plus difficile pour moi a été de préparer son départ alors que j’étais littéralement détruit. Mes proches m’ont accompagné dans cette épreuve, m’ont fortement aidé. Cela ne se pouvait autrement. J’ai pu m’évader physiquement de mon puit, et cet investissement m’a permis de ne pas penser. Mais ce n’est pas une évasion, ce n'est pas une libération, et le puit peut devenir votre ami.

A chaque douleur, à chaque souvenir dévastateur, le puit m’offre son abri.

Et lorsque tout est terminé, le puit devient le piège.

Il est minuit dans ma tête, et midi dans mon comportement. Quand les affaires matérielles me rappellent à leurs bons souvenirs, un vent de panique souffle dans le puit et j’y retourne en espérant que tout s’arrête. Si ma sœur me répète que  « plaie d’argent n’est pas mortelle », adage oh combien véritable, la cage économique et sociale qui nous possède n’en entend pas me faire oublier que mon état n’est pas économiquement « rentable ».

Les pièges pour celui qui est dans le puit est d’en sortir mentalement, trop vite.

Le nœud se resserre dans mes organes générant un sentiment de tristesse et d’angoisse. Je retourne dans mon puit, lui seul peut me protéger.

Je comprends le besoin de chimie, antidépresseurs que me donne mon médecin et tranquillisants afin de mieux dormir.

Mais j’avoue ne pas en prendre pour le moment, cela n’est pas une échelle pour remonter, mais un moyen de remettre l’esprit au calme. Je ne veux pas que mon esprit soit anesthésié, je veux que lui aussi ressente les émotions destructrices qui s’expriment lorsque je vais mal. Il faut que mon esprit demeure.

 

La révélation

 

« Les drames dévastent votre vie comme un ouragan. Ils déracinent tout. Ils créent le chaos. Vous devez attendre, attendre que la poussière se dépose pour faire un choix. Vous pouvez choisir de vivre au milieu des décombres et faire comme si tout était intact. Ou vous pouvez vous extirpez des ruines pour tout reconstruire. Après l'ouragan, l'important c'est de continuer à vivre... » (Véronica Mars – série)

 

Je lève les yeux vers le sommet du puit. Je vois les étoiles, le ciel puis les oiseaux, la vie. Je ressens la présence de ma mère, qui vient de partir. Qu’il est dur de vivre une seconde souffrance d’un départ d’un proche alors qu’on est au fond d’un puit. Mais je le perçois comme un message, comme si elle voulait faire un dernier geste de mère inquiète de l’état de son fils, elle décède le jour de mon anniversaire. Elle me rappelle aussi à mes engagements, et je prépare avec quelques proches un dernier hommage. Oh combien fut difficile cette semaine de préparation, et oh combien la douleur m’investit le jour de la cérémonie.

Mais, encore une fois, elle m’a bousculé, comme elle savait le faire lorsque j’étais enfant ou pendant ma dure crise d’adolescence. Elle m’a une dernière fois de son vivant provoqué pour que je réagisse.

Elle a réussi. Je sors de mon puit, lentement, car encore fragile. La souffrance émotionnelle a fait place à une tristesse lancinante qui s’écoule à chaque instant sur mon âme à vif. Et cette cascade recouvre celui que j’étais d’une protection d’amour de celle qui m’a donné la vie. Et je vois l’issue. Je sais maintenant que je suis en train de renaitre. Elle m’a donné la vie, puis elle part en me redonnant une nouvelle vie. C’est le plus beau don de soi que maman m’a fait, en conscience ou non, je ne sais, guidé par ses ancêtres, par des anges, que sais-je…

Mais je commence à grimper le long de la paroi du puit.

Je n’ai pas de choix à faire, je n’ai pas de décisions à prendre, elles le sont déjà. Le clin d’œil est tellement limpide, rien n’étant le fruit du hasard, que je ne me pose plus de questions.

Le « Je » deviens « nous », car nous sommes chacun de nous un ensemble. Nous portons en notre cœur nos ancêtres, nos amis, tous ceux qui étaient, mais aussi ceux qui seront.

Alors, vierge de toute ancienne vérité, le « nous » que je suis se lève. Il regarde la voute céleste, et voit des ombres, des formes. Il ressent à nouveau la curiosité. Et comme un être à terme d’une nouvelle construction, ressentant à nouveau le désir de sortir, et poussé par le puit qui le presse de s’exécuter, il démarre l’ascension.

Celle-ci sera lente, car chaque aspérité représente une bribe d’histoire de ce qu’il fut lors de sa chute. Il lui faut prendre conscience de cela afin de ne pas remonter sans avoir refermer irrémédiablement les plaies émotionnelles.

 

L’ascension

 

« …Ce processus de croissance psychique nait d’un besoin profond de sens ou de changement de sens, à la suite de souffrances… ». «…Il s’agit de mourir à un certain état pour renaitre à un nouvel état, plus évolué, plus conscient… ». (Jung – un voyage vers soi- Frédéric LENOIR)

 

La lutte est intense, d’un côté la perception d’aller mieux et l’envie de reprendre là où j’en étais dans ma vie d’avant, et de l’autre la prise de conscience que je ne pourrais plus reprendre le fil de ma vie comme avant.

On comprend bien à ce moment combien on est encore fragile. En permaculture, on dit qu’il faut observer et prendre le temps avant de d’agir. L’état est le même pour celle ou celui qui est dans le puit.

 

Mon médecin me prolonge d’un mois, il considère que ce n’est pas encore le moment. Je crois qu’il a raison. Je sens bien que je n’ai toujours pas véritablement lâché. Culpabilité d’absence, inquiétudes du jugement, doutes sur les capacités financières du ménage liées à la maladie, doute de soi, angoisses sur ce monde, incertitude sur le changement.

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille… » (Ev Saint Mathieu).

Pour celui qui  a connu le puit, il lui sera bien plus long encore de remonter que ce qui l’a conduit jusqu’à la chute. Mais à chaque seconde de remontée, le doute s’estompera encore un peu plus, permettant la compréhension de sa souffrance et sa guérison par sa renaissance.

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